Matthieu Cosse et Catherine Maisonneuve

Les tanins sont indissociables du vin car ils sont présents dans la peau, les pépins et les rafles du raisin. Les vins blancs qui sont issus de la fermentation du jus de raisin sont donc ceux qui en contiennent le moins … mais n’en sont pas exempts. En effet, lors du pressurage des baies, certains tanins peuvent être extraits, apportant un peu d’amertume, d’astringence ou de notes végétales.
Une palette de couleurs
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’à de rares exceptions, la pulpe des raisins, quelle que soit la couleur de leur peau, est incolore. Donc lorsque vous désirez avoir un vin rose, orange, pourpre, rubis ou quasi noir, il faut laisser la peau en contact plus ou moins longtemps jusqu’à obtenir la couleur désirée.
Pour les vins rosés, par exemple, les plus pâles sont issus de pressée, alors que les plus colorés auront macéré environ 24h avec les peaux. Une durée suffisante pour arborer une belle robe « framboise écrasée », mais pas de tanins apportant de la structure.
Puisqu’ils deviennent tendance, parlons vite fait des vins orange. Ils sont issus de raisins blancs et sont vinifiés comme des vins rouges, avec une macération plus ou moins longues des peaux – cela peut aller de 3 jours … à 6 mois ! Ils seront donc plus colorés que des vins blancs, mais possèderont également des tanins perceptibles en bouche, avec souvent une amertume et une astringence marquées.
Inégalité des cépages noirs
Si l’on ne perçoit pas visuellement de grosses différences, les cépages noirs peuvent contenir des taux très variables de matières « tanniques » (anthocyanes, pycnogenol, resvératrol …). Cela explique en grande partie pourquoi certains vins rouges peuvent présenter une robe vermillon translucide et des tanins d’une grande finesse quasi imperceptibles – certains Pinot Noirs, par exemple – alors que d’autres évoqueront les encres les plus sombres et offriront une mâche impressionnante – on peut penser à des Madirans issus du Tannat ou à des vins de Cahors 100% Malbec.
Ne pas se fier aux apparences
Si la matière première de départ a une influence indéniable sur le produit final, le vinificateur a une panoplie de techniques à sa disposition qui va permettre de contrecarrer le destin. Il est par exemple possible de faire une longue macération à froid (10°C max) qui va apporter de la couleur sans extraire les tanins « durs ». Il suffit ensuite de faire une fermentation à basse température (20-23°C), voire de vinifier ce moût bien coloré comme un vin blanc, et vous obtiendrez un vin à la couleur sombre, mais peu ou pas tannique.
A l’inverse, plus le vinificateur augmentera la température de fermentation – en évitant de dépasser les 35°C – et plus il fera perdurer la macération, plus il obtiendra des vins puissants et corsés.
Mais c’est plutôt l’inverse de la tendance actuelle qui est plutôt à l’infusion : température plutôt basses et extractions minimales, sans jamais forcer. Comme le disent les promoteurs de cette méthode, «le raisin donne ce qu’il a à donner».
Le bois, l’autre pays du tanin
Le mot tanin vient du celte tann (= le chêne) qui a donné Tannenbaum en allemand (= le sapin). Mais aussi tannage, car l’écorce des arbres riches en tanins sert à rendre les cuirs résistants et imputrescibles.
Ce sont les Gaulois qui ont inventé les tonneaux en chêne pour y placer … de la bière (cervoise). Les Romains, eux, utilisaient les dolias en terre cuite pour vinifier le vin, et les amphores pour le transporter.
Mais quelques siècles plus tard, la rencontre entre le vin et le chêne a bien lieu, et elle est toujours d’actualité. Il sert à fabriquer les cuves, les foudres et les barriques dédiés à la vinification et à l’élevage.
Le chêne offre plusieurs avantages : il est solide, durable, aromatise agréablement le vin (vanille, fruits secs, épices, pain grillé, moka, caramel), apporte par sa porosité juste ce qu’il faut d’oxygène pour le faire « maturer », mais y ajoute également ses propres tanins qui permettront de le rendre plus apte à la garde.
Il faut être honnête : la réussite est loin d’être systématique. Il faut que le contenant soit parfaitement adapté au contenu, sous peine que le premier écrase complètement le second.
On passe à la dégustation !
Certains tanins ont pour but de décourager les animaux de consommer les plantes qui les ont synthétisés. Non seulement leur amertume peut rendre l’expérience désagréable, mais à haute dose, ils peuvent être mortels. Vous avez peut-être aussi fait l’expérience de manger des kakis ou de prunelles qui n’étaient pas suffisamment mûrs : pour le coup, c’est l’astringence qui frôle l’insupportable et vous passe rapidement l’envie d’en consommer.
Dans la dégustation de vins tanniques, vous pouvez rencontrer aussi bien l’une que l’autre, voire les deux. En général, elles sont dosées subtilement, car l’idée est tout de même de trouver des humains prêts à les consommer.
Un long vieillissement en bouteille peut contribuer à les rendre plus abordables, mais ce n’est pas miraculeux : il est fort probable qu’un vin fortement astringent en jeunesse ne s’améliore guère avec le temps.
Par contre, il existe un remède gastronomique à l’astringence : le GRAS. En effet, les sensations désagréables que vous éprouvez proviennent du fait que les tanins ôtent la salive de votre palais : votre langue se retrouvent au contact des parois buccales soudainement non lubrifiées. Il suffit donc de manger un aliment suffisamment gras pour napper tout le palais … et l’astringence disparaît comme par magie !
Ce n’est certainement pas par hasard si le Sud-Ouest de la France offre à la fois les vins riches en tanins (Madiran, Cahors, Irouléguy) et des plats généreux en gras : confits de canard, cassoulet, rillettes d’oie… La symbiose entre les deux simplement parfaite !
Le vin de la semaine
Le Cahors La Fage 2018 Vieillissement prolongé de Cosse Maisonneuve est une belle illustration de l’enrichissement mutuel du vin et du bois.
La généreuse année 2018 laissait augurer un grand potentiel de de garde. Les vignerons ont alors tenté l’expérience de conserver une partie de cette cuvée en barrique durant 5 ans, ce qui est exceptionnel en France pour des vins rouges.
Non seulement ce long élevage en bois ne l’a pas durci, mais au contraire l’a affiné, patiné, le rendant presque délicat, même si l’on sent qu’il y a du monde dans le verre ! On s’éloigne totalement du monde habituel de Cahors. On se croirait presque en face d’un chianti vieilli longuement en foudre.